Irenka Krone présente le livre de Nelly Schenker "Une longue longue attente"
La misère donne à penser
Deux personnes de Suisse, une chercheuse universitaire et une militante Quart Monde, sont intervenues le 4 juin dernier à Paris, dans le cadre d’une rencontre interacadémique organisée par la nouvelle Fondation Joseph Wresinski-Institut de France.
Les questions abordées rejoignaient l’actualité du pays. - Comment faire pour reconstruire et raconter l’histoire des habitants les plus pauvres comme faisant partie intégrante de l’histoire du pays ? - Comment trouver un langage commun pour parler des violences vécues et infligées? Joseph Wresinski avait soulevé ces questions en 1983 dans une intervention à l’Institut de France à Paris. Il affirmait qu’on impose aux pauvres une histoire et une connaissance dans lesquelles ils ne peuvent pas se reconnaître, les condamnant « à croire qu’ils n’ont ni expérience, ni pensée ». Ce texte a constitué le fil rouge de la rencontre du 4 juin. André Vauchez, historien médiéviste, a animé une première table ronde sur le thème « La mémoire des exclus pour repenser l’histoire ».
Nelly Schenker, auteure du livre « Une longue, longue attente » paru aux Editions Quart Monde, a saisi l’assemblée par le récit de la violence institutionnelle constante de son enfance et de sa jeunesse, la reconnaissance officielle de cette violence par le gouvernement Suisse, et le défi d’avoir à faire face aux dossiers écrits par les administrations, qui contredisent ce qu’elle a vécu. Réflexion prolongée par Evelyne de Mevius, doctorante en philosophie à l’Université de Genève, qui a développé la question de savoir comment passer de coupable à victime reconnue, puis à la vraie réparation : pouvoir agir pour que cela cesse.
Axelle Brodiez-Dolino, du Centre national de la recherche scientifique a parlé de sa recherche sur l’histoire d’ATD Quart Monde et de son impact ; Yves Marie Bercé, également historien, a décrit les essais de transmission des mamans à leurs enfants abandonnés au fil des siècles ; Mireille Delmas Marty, juriste internationale, a animé la deuxième table ronde : « pour penser un monde commun ».
Alain Supiot, professeur en droit du travail au Collège de France, a expliqué comment la réduction économiciste actuelle de tout chiffrer va à l’encontre d’un savoir issu du croisement des savoirs des premiers concernés et des savoirs universitaires, en produisant ainsi une connaissance institutionnelle violente.
Martine Le Corre, déléguée générale adjointe et militante Quart Monde, a décrit le Croisement entre savoirs universitaires et savoirs issus de la résistance à la misère et a pointé les défis pour pouvoir sortir du paternalisme et arriver à une vraie réciprocité exigeante.
Alain Caillé, sociologue, a lié Joseph Wresinski à Marcel Mauss : l’être humain a besoin d’être reconnu par l’acte de donner aux autres. Pour les personnes en situation de pauvreté il est « interdit » de donner. Enfin, Isabelle Pypaert Perrin, déléguée générale et volontaire-permanente, a expliqué que « tout ce qui est pensé sans nous se retourne contre nous » et que le croisement des savoirs permet des changements pour tous. Marie-Rose Blunschi
Le 25 novembre a eu lieu à Treyvaux une journée de rencontre entre trois directrices et une assistante de recherche de la Commission indépendante d’experts (CIE) internements administratifs et le groupe Chercheurs d’histoire
En introduction, Nelly Schenker, militante2 Quart Monde, a rappelé l’enjeu : « Je voudrais en savoir plus sur ce que les chercheurs font de notre histoire, car elle se poursuit aujourd’hui de la même façon que depuis toujours. Oui, je trouve important que cela devienne connu, mais pas sans nous qui vivons encore, et pas seulement à travers des documents que les tuteurs ont écrits sur nous sans nous connaître. »
Les historiennes ont alors expliqué en détail comment elles travaillaient, à partir de documents, d’articles de presse, d’interviews de personnes concernées par les mesures de coercition (jusqu’en 1981).
Commission indépendante d‘experts internements administratifs
Nelly Schenker a vécu les premières années de son enfance avec sa mère dans une cave de la Basse-Ville de Fribourg. Puis placée en foyer, contre son gré on ne lui a pas donné le droit et la chance de suivre une scolarité. Avec un courage constant, elle a tenté de s'échapper de l’emprise de la pauvreté.
Un jour elle a rencontré ATD Quart Monde et elle s’y est activement engagée aux côtés de personnes de tous milieux luttant ensemble contre l’injustice qu’est la pauvreté. C’est dans cette dynamique qu’elle a notamment rencontré Ruth Dreifuss, alors présidente de la Confédération.
Pendant sept années, avec le soutien de Noldi Christen, volontaire permanent du Mouvement, Nelly Schenker a travaillé à l’écriture de ses mémoires.
Page de la médiathèque du Valais avec l'enregistrement de la soirée lecture
Le 15 septembre dernier, nous recevions au centre national d’ATD Quart Monde à Treyvaux trois historiennes de la Commission Indépendante d’Experts (CIE) chargée de réaliser une étude sur les internements administratifs avant 1981.
Nous étions une vingtaine, militants, alliés et volontaires, du groupe « Chercheurs d’histoire pour l’avenir des enfants », à nous être préparés à cette rencontre en étudiant le programme de cette recherche qui a démarré en février dernier. Elle a pour but de sonder les lois et les pratiques de cette période douloureuse pour de très nombreux enfants et adultes dont une partie vivent encore.
Lire la suite...
Nous avons salué l'adoption le jour même par le Conseil des États d’une loi visant à reconnaître et réparer l’injustice faite aux victimes des mesures de coercition à des fins d’assistance et des placements extra familiaux antérieurs à 1981. Cette loi entrera en vigueur le 1er avril 2017. L’un de nous a suivi attentivement les débats. Parmi les diverses argumentations des conseillers qui ont pris la parole, nous relevons celle-ci : « Aujourd’hui encore ce sont les pauvres qui sont le plus menacés par la dénégation des droits. La loi qui découlera de notre décision doit nous rappeler cela ».
Plusieurs membres de notre groupe ont vécu ces abus dans le passé. D’autres se questionnent dans leur pratique professionnelle face à la répétition des placements de génération en génération.
L’interview filmée, poignante, d’un militant absent ce 15 septembre ainsi que les affiches faites à partir de certains éléments de la recherche, ont fait ressortir plusieurs points qui nous tiennent à cœur.
Cette question posée par une militante a été centrale: « Quelle histoire commune avec chaque histoire qui est unique ? » Nous avons insisté pour qu’une attention soit portée aux parents des enfants et adolescents placés à l’époque et que la pauvreté soit nommée comme cause et non seulement comme conséquence de l’internement.
Nos invitées, Anne-Françoise Praz, Loretta Seglias et Joséphine Métraux, nous ont montré combien elles sont attentives dans la consultation des sources à discerner la résilience des internés. Elles la découvrent en particulier dans des lettres écrites par eux et jamais envoyées, retenues par l’administration !
« On repart de cette rencontre avec un peu plus encore de sens critique envers les étiquettes qu’on verra dans les documents... Une partie de notre mandat est de communiquer par des échanges comme nous le faisons aujourd’hui sur la pauvreté, pour recueillir les informations... et tout au long de la recherche pour faire comprendre comment nous travaillons... »
Suite à cette rencontre, deux membres de notre groupe ont participé, le 24 octobre, à un échange organisé par la CIE à Berne, sur le rôle de la diffusion des résultats scientifiques, ainsi que sur les différents projets de diffusion prévus par la Commission.
Caroline Petitat
Consultez aussi les articles sur le site web de la CIE internements administratifs:
- sur la rencontre du 15 septembre 2016 à Treyvaux
- sur l'échange du 24 octobre 2016 à Berne
Vous trouvez ci-dessous une sélection de publications qui mettent en lumière le courage, la résistance et le combat des personnes et familles très pauvres en Suisse face au mépris, à l'assistance coercitive et au placement :
Saisir la chance offerte par la reconnaissance de l'injustice subie
Réfléchir avec les enfants à ce chapitre de notre histoire
Vidéo
Une longue histoire de courage, de résistance et de combat
Me 21 nov. 2018 Vernissage-dédicace Bibliothèque cantonale et universitaire, Fribourg, 19h30
Ma 11 déc. 2018 Lecture-dédicace L’Arbanel, Treyvaux, 19h30
L‘histoire de Nelly Schenker semble invraisemblable dans le pays de Pestalozzi, grand pionnier d’une école pour tous ! Une enfant qui, dans la dernière moitié du XXe siècle, n’a pas été scolarisée à cause de sa pauvreté !
Une fillette désespérée qui s’échappe d’un home d’enfants dans les Préalpes et s’en va, à pied, jusqu’à Fribourg, en basse-ville, là où elle est née. En pleurs devant l’école, elle réclame son droit : « Je suis là et je veux aller à l’école, comme tous les enfants de mon quartier ! »
Avec son combat mené jour après jour pour que toute personne puisse devenir libre, avec sa voix d’artiste et sa dimension spirituelle, elle nous met devant le défi de devenir responsables ensemble d’un projet de société riche de tout son monde.
Eugen Brand, ancien Délégué Général d’ATD Quart Monde International
« Ce que la misère donne à penser » : une rencontre exceptionnelle à l’Institut de France
Vidéo "Sortir du statut de victime" (38 min.) avec Nelly Schenker et Evelyne De Mevius
Les vidéos de tous les interventions
En juillet dernier, au centre national d’ATD Quart Monde, nous avons accueilli Urs Allemann* pour voir ensemble la possibilité de mettre sur pied un « bistrot d’échange » dans ce lieu du Mouvement à Treyvaux. Je redisais à Urs combien les excuses de la Confédération en 2013 aux victimes des mesures de coercition à des fins d’assistance avaient permis de libérer la parole. (continuer)
Au sein d’ATD Quart Monde, nous avons souvent échangé et dialogué lors d’Universités Populaires par exemple sur des sujets importants comme l’avenir de nos enfants. Cependant ces excuses nous ont permis, avec la dynamique « chercheurs d’histoire pour l’avenir des enfants », de parler de ce que nous avions vécu enfant, de nous redécouvrir les uns les autres, de partager une histoire similaire. Je ne me sens plus seule, je me retrouve dans l’expérience de vie de toutes ces personnes, je me sens comprise et entendue.
J’ai été placée enfant dans une ferme, entièrement au service de cette famille. J’y ai passé la moitié de mon enfance à y travailler durement. A l’école, si j’ai réussi à apprendre les bases, je n’ai pas acquis l’instruction nécessaire. Je n’avais pas été préparée à affronter l’avenir, je me suis rendue compte bien tard que j’avais des lacunes. J’ai mesuré les conséquences de cette situation dès ma vie active professionnelle. Elles ont eu des répercussions plus larges sur ma vie et mes enfants.
Il faut que les parents puissent assumer leurs responsabilités, et parfois il faut les aider. Ce qui me révolte aujourd’hui, c’est que la chance n’est pas donnée à des jeunes d’avoir une expérience parentale. Silvia a eu son enfant placé à la naissance, on ne lui donne aucune chance, on la condamne dès le départ. Je trouve que c’est une profonde injustice.C’est important de ne pas abandonner Silvia, de continuer à l’inviter à nos rencontres même si elle ne vient pas, de lui montrer qu’elle existe pour nous. Elisabeth Gillard Equipe d’animation
Urs Allemann-Caflisch est l’animateur du « Bistrot d’échange », un projet d’information et d’échange axé sur les histoires réelles des personnes touchées par des mesures de coercition à des fins d’assistance. www.bistrotdechange.ch
Un an après l’entrée en vigueur de la loi fédérale sur les mesures de coercition à des fins d'assistance et les placements extrafamiliaux antérieurs à 1981, le groupe « Chercheurs d’histoire pour l’avenir des enfants » publie un bilan intermédiaire de ses travaux.
La reconnaissance publique de l’injustice vécue les a mis en route : personnes concernées, hommes et femmes touchées par la pauvreté aujourd’hui, personnes solidaires. Depuis quatre ans, ils se retrouvent régulièrement et en dialogue avec des professionnels, des chercheurs et des politiciens. Parmi les thèmes abordés : la contribution de solidarité, l’accès aux dossiers, les recherches historiques, le lien entre le passé et le présent. Alors que la fin du délai pour l’accès à la contribution de solidarité approche, ils tiennent à rendre publics les enseignements et pistes qu’ils ont tirés de ces échanges. Un document de travail intitulé « Ensemble, nous refusons la misère : notre histoire doit servir pour que les choses changent » est désormais disponible.
L'intérêt que la Suisse porte actuellement à la compréhension historique de l'internement administratif, et des autres mesures de coercition à but d'assistance est une chance à saisir. Enfin, le pays reconnaît ces violences et mène une étude scientifique ! Suite à la commémoration du 11 avril 2013 à Berne, un groupe d’une quinzaine de personnes s’est constitué. Il poursuit trois objectifs:
En 2017, nous poursuivons le dialogue avec les historiens de la Commission indépendante d'experts (CIE) internements administratifs.
Cliquez ici pour trouver une présentation des travaux réalisés entre avril 2013 et août 2017.
« Les plus pauvres ont toujours été de mauvais pauvres, et cela non pas pour des raisons de mauvaise moralité congénitale, comme l’humanité se le répète, de siècle en siècle. Ils ont été, et sont encore, de mauvais pauvres, parce qu’en dessous d’un certain seuil de pauvreté, il n’est pas possible de vivre selon les normes de bonne conduite de la communauté environnante. »
Joseph Wresinski, 1981